Et ensuite

Epilogue

La route s’applatit, la roue d’Urs accélère légèrement et nos yeux dérivent sur le panorama qui s’ouvre. Le vert frais des jeunes feuilles encadre la route, le versant couvert de vignobles plonge dans les eaux calmes du lac, des maisons aux toits de tuiles ocres ou vermillons mangées par le lierre ponctuent la pente. Le ciel est dégagé, les montagnes au loin saupoudrées de neige fraîche, la corniche se parcourt tranquillement. Viktoria nous a rejoint sur ces derniers kilomètres, le décor semble étrangement familier. Et pour cause, nous sommes à la maison.

Voyager à deux, se marier, c’est un peu un acte de confiance sans condition.

Petit glissement, je passe au subjectif. Il y a autant de manière de vivre et de voyager que de sensibilités. Et je ne voudrais pas tirer des traits généraux qui ne sont que subjectifs. Apprécier particulièrement une manière n’est pas dénigrer les autres, au contraire.

Je disais donc, voyager à deux. Parfois, souvent, je me sens un peu comme un batelier dans le brouillard. Perdu sur les flots, sans aucun repère, ramant au hasard des éléments – toutes les directions se ressemblent. Mais soudain un petit fanal illumine la pénombre. Un chemin se dégage, une direction dans laquelle je m’engouffre. Pauline. Avec elle, les journées prennent leur sens et l’énergie afflue. Soutenu, je me sens apte à avancer. Dans ce périple, jamais je ne serais allé si loin sans elle. Probablement même ne serais-je jamais parti. De ses rêves loufoques s’esquissent des idées, de son rire la joie déborde et de sa vivacité les solutions affluent. Avec elle, je me sens en sécurité, stimulé et libre en même temps. Nous affrontons le sourire aux lèvres la pluie battante (enfin, peut-être tout sauf la pluie), on partage les instants de bonheur et on dessine la route de nos rêves.

Lorsqu’on surmonte cette somme de petits défis au quotidien qu’est l’aventure à vélo, il y a inévitablement des moments où la motivation s’esquinte. Mais se savoir à deux, être soutenu de manière inconditionnelle et soutenir sans attendre de retour permet de se relâcher par moments. Comme des invertébrés incapables de se lever, nous nous positionnons dos à dos. En appui l’un sur l’autre, nous arrivons à nous mettre debout. Instable, en renouvellement constant, la position tient uniquement sur la confiance que nous avons dans l’autre: l’un viendrait à flancher que la chute s’en suivrait. Je m’offre et m’expose, sans condition ni arrière-pensée. Du moi et du elle naît le nous, une sorte d’entité hybride. Ensemble, les difficultés deviennent plus aisées, les joies plus intenses, le partage et les souvenirs s’accumulent. J’apprends à vivre dans cet équilibre magique qu’est l’abnégation pour le soutien, la concession pour la liberté, le partage. A deux, je me sens aligné avec moi-même.

Mes paupières fermées, je nous imagine sans peine en train de pousser notre caravane dans la neige, se couvrir le visage lorsqu’un camion nous dépasse dans la poussière de la piste ou nos mines dépitées lorsque nous examinons nos assiettes – des nouilles, encore. On se serre les coudes, on rigole de ces petits défis très surmontables – on pète des câbles parfois. Les moments inconfortables passent. Viennent alors l’indénombrable multitude de souvenirs et de rires. Un vol de montgolfières au petit matin en Cappadoce; l’infini mystique des steppes au Kazakhstan; une course effrénée dans la neige à plus de 5000m; un gargantuesque barbecue de nouvel an; une auberge d’un confort exquis à Bishkek; le passé prend forme en image et en couleurs. Évoquer ces moments, voir ses prunelles pétiller dans les détails de la scène, partager ces expériences et les revivre nous emmène ensemble dans un univers hors du temps. Que le futur arrive, nous avons construit une histoire commune inaltérable.

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